A travers des articles statistiques, à travers des articles de fond aussi divers que les mutilations volontaires, le code de justice militaire, la notion de fusillés pour l'exemple, l'ambition du Prisme est de fournir un ensemble d'informations permettant aux lecteurs d'appréhender en toutes connaissances de causes et sans parti pris de notre part la problématique des fusillés du conflit 14/18. Notre but n'est pas de juger mais de présenter, d'analyser les faits, de les porter à la connaissance de nos concitoyens au sujet d'une question qui n'est pas seulement d'ordre historique mais enjeu aussi d'un débat mémoriel, encore présent aujourd'hui.

dimanche 25 février 2024

Quel a été l’impact des lois d’amnistie sur les militaires français fusillés en 14/18 ?

 
    Dans cet article, Prisme s’est intéressé aux différentes lois d’amnistie qui se sont succédées au sortir de la Grande Guerre pour savoir quel a été l’impact de ces lois sur les militaires français condamnés à mort, fusillés ou graciés.

La pratique de l’amnistie n’est pas une nouveauté, elle a été courante au 19e siècle ; ainsi la 3e République a amnistié les communards le 10 juillet 1880 sans pour autant que cela mette fin à la conflictualité au sein de la société française. Au sortir de la guerre, ce sont naturellement les infractions liées à la guerre (insoumission, désertion, mutineries) qui sont au 1er rang des préoccupations des parlementaires contrairement aux années d’avant-guerre. Les mutins de la mer Noire, l’affaire Marty sont, par exemple, au centre des préoccupations de certains partis, les discussions des parlementaires le montrent bien. Pour d’autres, c’est un schéma plus classique auquel s’adressent ces lois. C’est le cas des amnisties pour violences ou faits de grève dans le cadre de la lutte des « organisations révolutionnaires » contre « l’oppression capitaliste ».

Dès octobre 1919, une première loi d’amnistie est promulguée, d’autres vont suivre. Au sein de ces lois, la part réservée aux militaires français condamnés ne représente qu’une partie de chacun de ces textes.

Les militaires français condamnés à mort puis fusillés sont-ils concernés par ces lois et combien ?
Quelle est la nature de ces lois ?
Ont-elles eu des répercussions judiciaires ?
Quels motifs de condamnation à mort ont été amnistiés ?

Comme le soulignait le magistrat Louis Joinet : faut-il défendre un droit à l’oubli et qu’en est-il alors du droit à la mémoire ?

Cette phrase de Louis Joinet interroge sur l’oubli généré par l’amnistie : a-t-elle le même sens pour un militaire gracié qui souhaite « tourner la page » que pour les familles des fusillés, du moins ceux concernés par ces lois ?

Prisme a tenté de répondre à ces questions en s’appuyant sur les textes de lois.

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il a le risque de l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d'images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

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1-Loi du 24 octobre 1919 :

C’est la première loi d’amnistie votée à l’issue du conflit. Nous avons réalisé sa représentation en reprenant le modèle utilisé par le général Bach dans le rapport Prost sur le Centenaire remis au Président de la République en octobre 2013. Comme le général Bach le soulignait : la représentation des fusillés à travers des tableaux doit rendre absolument compte de la façon dont la Justice militaire était rendue durant la guerre.

A prime abord, cette loi n’apporte rien aux militaires français fusillés. Cette loi, comme les suivantes, dont les répercussions vont bien au-delà du seul sort des militaires français fusillés, est une première étape dans une démarche de « normalisation ». Une bonne partie des motifs de condamnations énoncés ci-dessus, sont bien concernés par la loi mais seulement pour les alinéas qui ne conduisent pas à la peine de mort. Certains articles de cette loi s’adressent aux militaires français auteurs de délits car cette loi comporte nombre d’articles dans des domaines très variés , allant des commerçants mobilisés déclarés en état de faillite antérieurement à octobre 1919, en passant par les délits et contraventions en matière de réunion, d’élections, de grèves, de manifestations sur la voie publique, en passant par les délits et contraventions à la police des chemins de fer, à tous les délits et contraventions en matière forestière, de chasse fluviale et maritime, à tous les délits et contraventions non amnistiés par la loi du 31 juillet 1913, connexes aux évènements viticoles qui, en 1911, se sont déroulés dans les départements de la Marne, de l’Aube, de l’Aisne, au défaut de déclaration et aux détournements d’épaves, etc...

Ce vaste ensemble de mesures très hétéroclites, votées dans un souci d’apaisement comporte néanmoins, pour les militaires français, quelques timides avancées :

-article 5 : amnistie pleine et entière est accordée pour toutes les infractions commises antérieurement au 19/10/1919, prévues par les articles ci-après du code de justice militaire pour l’armée de terre : articles 211, 2e et 3e ; 212, 213, 2e et 3e ; 214, 216, 218 paragraphes 2 et 3 ; 219, 2e et 3e ; 220 paragraphe 4 ; 223 paragraphe 2 ; 224, 225, paragraphe 1er ; 229, 244, 246, 254, 266, 271.

-article 8 : sont amnistiés les faits de désertion à l’intérieur lorsque le délinquant s’est rendu volontairement avant le 1er novembre 1918 et que la durée de la désertion n’a pas excédé deux mois.

-article 9 : sont amnistiés, conformément aux dispositions de l’article qui précède, les insoumis déclarés postérieurement au 5 août 1914.

-l’alinéa 14 article 2 : aux faits réprimés par l’article 408 du code de pénal pour les condamnations prononcées contre les militaires par les conseils de guerre, conformément aux dispositions de l’article 267 du code de justice militaire et qui n’auront pas été supérieures à trois mois d’emprisonnement.

Cette loi d’octobre 1919, alors que certaines divisions françaises comme la 156e sont toujours dans les Balkans, ne s’attaque pas encore à la question des militaires français condamnés à mort/fusillés. Elle concerne principalement les militaires français auteurs de délits. En cela, c’est un premier pas.

2-Loi du 29 avril 1921 :

Comme la loi du 24/10/1919, cette loi s’adresse à une multitude de délits et contraventions aussi diverses que celles énoncées ci-dessus et souvent les mêmes. Ce « melting-pot » d’amnisties diverses comme celle accordée aux infractions prévues par la loi du 19 juin 1918 relative à l’interdiction de l’abattage des oliviers, reflète le régionalisme de certains contributeurs de cette loi. Pour la désertion à l’intérieur, la plage d’attribution est plus étendue que dans la précédente loi, l’article 12 amnistie les faits lorsque le « délinquant » s’est rendu volontairement avant le 11 novembre 1920 et que la durée de sa désertion en une ou plusieurs fois, n’a pas excédé un an.

Pour le cas spécifique des militaires français, l’énoncé de l’article 8 est quasiment identique à l’énoncé de l’article 5 de la loi d’octobre 1919.

-article 8 : amnistie pleine et entière est accordée pour toutes les infractions commises antérieurement au 11/11/1920 et prévues par les articles du code de justice militaire pour l’armée de terre ci-après : 211, alinéas 2 et 3 ; 212 et 213 alinéas 2 et 3 ; 214, 215, 216, 218, alinéas 2 et 3 ; 219, 220, alinéas 2 et suivants ; 223, alinéa 2 ; 224, 225, alinéas 1 et 2, à la condition, dans le cas de l’alinéa 2, que la rébellion ait eu lieu sans armes ; 229, 244 à 246 inclus, 254, 260, 266, 271. 

Selon le code de justice militaire interprété par la doctrine et la jurisprudence de Leclerc de Fourolles et Coupois de 1913 : il y a trois classes d’infractions aux lois pénales : les contraventions, les délits et les crimes. (conférence sur la police judiciaire militaire - page 197).

Par contre, l’article 18 dénote un changement. Il prévoit que l’amnistie pleine et entière est accordée aux militaires des armées de terre et de mer condamnés pour des faits de mutineries antérieurs au 11 novembre 1920, à la condition qu’ils n’aient pas été retenus et condamnés comme embaucheurs, instigateurs, chefs de révolte ou de complot.

Malheureusement, la formulation de cet article 18 ne correspond pas à un motif de condamnation précis mentionné dans le code de justice militaire. L'article 18 citant les chefs de révolte, on peut donc en déduire que le législateur a inclus l'article 217. Le terme « faits de mutineries » recouvre donc plusieurs articles dudit code comme l’article 217 (révolte) et l’article 218 (refus d’obéissance) par exemple.

Ainsi, les soldats Vally, Flourac, Liénard, Chevallier, Gautier et Chauveau, condamnés à mort le 12 juin 1917 pour un refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi (article 218) par le conseil de guerre de la 77e division, ont été amnistiés par application de l’article 18 de cette loi. Vally et Flourac avaient été fusillés le 20 juin 1917. Les peines de mort requises contre les soldats Liénard, Gauthier, Chauveau avaient été commuées en travaux forcés à perpétuité.

C’est également le cas pour ce groupe de militaires dont les soldats Chemin, Le François, Lebouc, Mille, condamnés à mort le 20 juin 1917 puis fusillés pour refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi et abandon de poste en présence de l’ennemi par le conseil de guerre du Quartier général de la 2e armée.


Cet exemple illustre parfaitement d’une part la question des doubles motifs de condamnation à mort que Prisme a déjà évoqué dans un précédent article car quatre de ces militaires ont été condamnés à mort pour un refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi (article 218) et pour un abandon de poste en présence de l’ennemi (article 213). Statistiquement, dans quelle catégorie de motif doit-on les classer ? A noter que la révolte (article 217) n’a pas été retenue par les juges. L’autre question évoquée ci-dessus reflète l’inadaptation du terme « faits de mutineries » utilisé dans la rédaction de l’article 18 de cette loi. Dans ce dossier, ce sont les articles 213 et 218 du code de justice militaire qui ont été retenus comme motifs de condamnation à mort, pas l’article 217 qui traite de la révolte. Pourtant, ce dossier concerne bel et bien un cas de mutinerie survenu le 29 mai 1917 au sein du 129e régiment d’infanterie décrit à partir de la page 140 de l'ouvrage de Denis Rolland « la grève des tranchées ». Le motif de condamnation « abandon de poste en présence de l’ennemi » peut-il entrer dans le cadre de l’amnistie promulguée par l’article 18 ?

Le 22 juillet 1933, la Cour spéciale de justice militaire a été amenée à statuer sur le cas du soldat Lebouc, une requête ayant été formulée le 4 août 1932 par un ayant droit. Or, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 4 de la loi du 9 mars 1932, sont seules recevables, les demandes introduites par l’un quelconque des ayants droit dans un délai de 10 ans à compter du 11 novembre 1918. Cette requête a donc été déclarée irrecevable par la Cour. A noter que le président de la Ligue des Droits de l’Homme avait adressé un courrier en avril 1926 au ministre de la guerre pour savoir si le soldat Lebouc bénéficiait des dispositions de l’article 18 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 ce qui était bien le cas. La famille du soldat Lebouc était-elle au courant des dispositions de la loi du 9 mars 1932 ? Pourquoi la famille de ce soldat n’a-t-elle pas formulé de requête avant 1928 et pourquoi le président de la LDH n’a-t-il pas contacté la famille du soldat Lebouc en 1926 pour l’informer de la possibilité qu’offrait cet article 18 ?

Cette loi a fait l’objet d’ardentes interventions. Les discussions des parlementaires montrent que certains d’entre eux avaient proposé des amendements pour accorder une amnistie pleine entière aux militaires et marins des unités engagées en 1919 en Russie, condamnés pour mutineries et insubordination. C’est le cas du député Anselme Patureau-Mirand qui déclara le 28 juillet 1920 : on conduisit ces troupes vers la Russie et certains oublièrent leur devoir. Je demande que l’on considère cette faute de commandement comme excuse et que l’amnistie soit appliquée aux troupes de l’armée de terre, tout au moins. Auquel Adolphe Landry, le ministre de la Marine répondit : je rappelle à la Chambre que, dans des débats de cette nature, on oublie trop souvent que, si nos troupes et nos bâtiments de guerre sont allés dans la mer Noire après l’armistice, c’est parce que les Allemands étaient encore en force sur les rives de la mer Noire, en Ukraine et dans la Russie méridionale après la conclusion de l’armistice. Le premier but qu’on se proposait, était d’assurer l’exécution des clauses de l’armistice et d’obtenir que ces régions fussent évacuées par les Allemands ; et il y a eu des forces allemandes organisées sur les bords de la mer Noire et dans la Russie méridionale jusqu’en mars 1919. (Journal officiel - débats parlementaires – Chambre des députés - pages 3197/3198). Cette phrase contenue dans l’amendement de ce député n’a pas été retenue dans le texte final.

D’autres mesures ont également été prévues par cette loi comme :

-l’amnistie des faits de désertion à l’intérieur ou à l’étranger lorsque le délinquant s’est rendu volontairement avant le 11 novembre 1920 et que la durée de sa désertion, en une ou plusieurs fois, n’a pas excédé un an (article 12).

-l’amnistie pour les insoumis déclarés tels postérieurement au 5 août 1914, lorsque l’insoumission a pris fin par l’arrestation avant le 11 novembre 1920, que sa durée n’a pas excédé six mois, ou lorsque le délinquant s’est rendu volontairement avant la même date et que l’insoumission n’a pas excédé un an (article 13).

-l’amnistie pleine et entière est accordée à tous ceux qui, depuis le 19 octobre 1919, auront bénéficié ou qui, dans l’année de la promulgation de la présente loi, bénéficieront, par décret de grâce, soit d’une remise totale de peine, soit de la remise de l’entier restant de la peine (article 16).

Mais, sans conteste, ce sont les articles 19 et 20 qui tranchent avec le reste de la loi. L’article 19 prévoit : les effets de l’amnistie ne peuvent, en aucun cas, mettre obstacle à l’action en révision devant la Cour de cassation en vue de faire établir l’innocence du condamné.

L’article 20 énonce les conditions par lesquelles ces recours peuvent être déclenchés contre les condamnations prononcées au cours de la guerre par les conseils de guerre spéciaux soit sur la demande du condamné soit par sa famille si le condamné est décédé.

Cela a été le cas du soldat Lucien Bersot (plus connu sous le titre du film « le pantalon ») condamné à mort par le conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie le 12 février 1915 pour un refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi. Le 13 juillet 1922, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur ce cas.

A la fin de son arrêt, la cour a déclaré que « Bersot est et demeure acquitté de l’accusation du crime retenu à sa charge, ordonne l’affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l’article 446 du code d’instruction criminelle et son insertion au journal officiel, ordonne également que le présent arrêt sera imprimé, qu’il sera transcrit sur les registres du conseil de guerre de 60e régiment d’infanterie et que mention en sera faite en marge du jugement réformé ».

Il est certain que ce militaire a été victime d’une erreur judiciaire pour 2 raisons : d’une part, comme l’a précisé la Cour, l’injonction [de prendre un pantalon malpropre, de le nettoyer ce que Bersot refusa] adressée à Bersot par le lieutenant André ne peut être considérée comme ayant constitué comme un ordre de service donné pour l’accomplissement d’un devoir militaire en présence de l’ennemi, au sens de l’article 218 & 1er du code de justice militaire ; que le fait retenu à la charge de Bersot n’a point présenté les caractères constitutifs de ladite infraction ; que, par suite, c’est à tort qu’il a été déclaré coupable. […] L’article 218 ne punit de mort en effet que le refus, par un militaire, d’obéir, quand il est commandé « pour marcher contre l’ennemi » ou pour « tout autre service ordonné par son chef en présence de l’ennemi ou de rebelles armés » ce qui n’était pas le cas du soldat Bersot. D’autre part, l’article 37 du code de justice militaire indique que les articles 15, 22, 23 et 24 dudit code sont applicables aux conseils de guerre aux armées. L’alinéa 4 de l’article 24 précise que nul ne peut siéger comme président ou juge s’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur.

Selon le commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau de 1876, licencié en droit, par celui qui a connu de l’affaire comme administrateur, il faut entendre celui qui a été appelé par ses fonctions à en faire l’examen et à donner son avis sur les faits qui font l’objet de la poursuite. Le capitaine Vexiau reprend exactement la fin de l’alinéa 96 (page 91) du commentaire sur le code de justice militaire de 1858 du conseiller à la Cour de cassation Victor Foucher.

Pour les conseils de guerre spéciaux connus relevés par Prisme, les ordonnances de mises en jugement sont toutes en citation directe conformément à l’article 156 du code de justice militaire. Cela signifie que ces procédures n’ont pas eu besoin d’avoir recours à une instruction préalable. Pour le cas Bersot, même si le dossier de procédure est manquant, on peut penser qu’il en a été de même. Le lieutenant-colonel Auroux étant l’officier commandant le 60e régiment d’infanterie, c’est lui qui devait décider si l’affaire « Bersot » devait faire l’objet d’une convocation d’un conseil de guerre spécial, l’ordre de mise en jugement faisant office de convocation du conseil de guerre. C’est lui qui devait nommer les juges du conseil de guerre. A ce titre, il a été administrateur de cette procédure, il n'avait pas donc le droit de présider le conseil de guerre qui a jugé Lucien Bersot.

Si le conseil de révision n’avait pas été suspendu le 17 août 1914, ce jugement aurait été cassé et renvoyé devant une autre juridiction qui aurait condamné au pire Lucien Bersot pour un refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre à 5 à 10 ans de travaux publics (peine déjà très disproportionnée), peine qui aurait été suspendue par le général de division car l’autorité militaire avait besoin de tous ses hommes. Bersot serait alors reparti au combat dans une autre unité comme cela a été le cas pour beaucoup de militaires condamnés.

3-Loi du 09 août 1924 :


Cette loi tend à remettre en vigueur jusqu’au 1er janvier 1925 le délai d’application des dispositions de l’article 16 de la loi du 29 avril 1921 et à permettre la réhabilitation des militaires sommairement exécutés ou abattus.

La loi prévoit que la Chambre d’accusation instruira le procès, ordonnera toutes les mesures propres à mettre la vérité en évidence et statuera sur la demande, après les réquisitions écrites du procureur général.

Appelée à statuer sur ces cas, la Cour d’appel de Colmar a réhabilité les sous- lieutenants Millant et Herduin.

C’est également le cas pour les soldats Barbieux, Clément, Delsarte, Dufour, Hubert et le caporal Caffiaux sommairement exécutés le 7 septembre 1914 aux Essarts qui ont été réhabilités par la Cour d’Appel de Douai le 22 décembre 1926.

4-Loi du 03 janvier 1925 :

Cette loi tranche avec les 2 premières lois. Si la multitude de délits et de contraventions amnistiés y est toujours énoncée, l’article 6 représenté ci-dessous marque une grande différence. En effet, nombre des militaires français condamnés à mort puis fusillés ont été amnistiés.

Cet article 6 précise : amnistie pleine et entière est accordée pour toutes les infractions commises antérieurement au 12/11/1924 et prévues par les articles du code de justice militaire pour l’armée de terre ci-après : 211 à 216 inclus, 218, 219, 220 alinéas 2 et suivants ; 223, alinéa 2 ; 224, 225 alinéas 1 et 2 à la condition que dans le cas de l’alinéa 2, la rébellion ait eu lieu sans armes ; 244 à 246 inclus ; 248, sauf en ce qui concerne les comptables ; 254, 260, 266, 271.

Sont également amnistiées les infractions commises avant le 11/11/1920 et prévues par les articles ci-après du même code : 217 ; 220, alinéa 1er ; 222 ; 223, alinéa 1er ; 225, alinéa 2 et suivants ; 229, à la condition que les auteurs de ces infractions aient passé trois mois dans une unité combattante, aient été cités ou faits prisonniers, ou réformés dans les conditions prévues à l’article 3.

Ainsi, le soldat Valet du 115e régiment d’infanterie, condamné à mort le 30 mars 1915 pour un abandon de poste en présence de l’ennemi par le conseil de guerre de la 8e division d’infanterie, fusillé le lendemain conformément aux directives en vigueur, a été amnistié en vertu de cet article 6.

Suite à l’examen médical du médecin chef de l’ambulance n°3, ce soldat a été accusé de s’être volontairement mutilé la main gauche.

En marge des militaires fusillés, l’article 4 de cette loi accorde l’amnistie aux militaires ayant bénéficié d’un sursis à l’exécution de la peine ou qui en ont bénéficié dans les six mois après la promulgation de la loi si le sursis n’a pas été révoqué et si les faits concernés ne relèvent pas de l’insoumission, de la désertion à l’ennemi, de l’intelligence avec l’ennemi, de la trahison et de l’espionnage. Les articles 5 à 11 développent toute une panoplie de mesures d’amnistie destinées aux militaires.

Pour les militaires sommairement exécutés, l’article 13 vise à remettre en vigueur jusqu’au 1er janvier 1925 le délai d’application des dispositions de l’article 1er de la loi du 9 août 1924. Le 1er alinéa de cet article a été modifié pour accorder une amnistie pleine et entière pour toutes les infractions au code de justice militaire commises antérieurement au 9 juillet 1924, à tous ceux qui, à cette dernière date, auront bénéficié, ou qui, dans l’année de la promulgation de la présente loi, bénéficieront, par décret de grâce, soit d’une remise totale de peine, soit de la remise de l’entier restant de la peine. Pour les 1008 militaires français condamnés à mort puis graciés, cette mesure est importante. La grâce présidentielle leur a sauvé la vie, l’amnistie a fait disparaître ces condamnations de leurs casiers judiciaires ce qui n’avait pas été le cas avec la grâce présidentielle.

Le soldat André Georges Testu, du 5e régiment de génie, a bénéficié de cette mesure. Testu avait été condamné à mort le 6 juillet 1918 par le conseil de guerre de la 3e division pour un abandon de poste en présence de l’ennemi. Par décret présidentiel du 9 août 1918, sa peine de mort a été commuée en 20 ans de prison (deux juges ont signé un recours en grâce). Exclu de l’armée, Testu a été affecté à la 11e section d’exclus métropolitains.


La grâce présidentielle, demandée par la direction du contentieux du Ministère de la Guerre, a sauvé Testu sans toutefois effacer cette condamnation de son casier judiciaire ce que, par contre, l’amnistie a fait.

L’article 15 rappelle que les effets de l’amnistie ne peuvent, en aucun cas, mettre obstacle à l’action de révision devant toute juridiction compétente en vue de faire établir l’innocence d’un condamné.

L’article 16 précise : pendant deux années, à dater du 1er janvier 1925, le ministre de la Justice pourra, dans les mêmes conditions, saisir la chambre des mises en accusation d’un recours contre les condamnations prononcées au cours de la guerre par les conseils de guerre ordinaires et spéciaux qu’il jugerait devoir être reformées dans l’intérêt de la loi et du condamné.

Les soldats Farjounel, Marcel, Perron et Daspe ont bénéficié d’un arrêt de la Cour de cassation en date du 30 juin 1927. Jugés le 28 mai 1915 par le conseil de guerre de la 3e division coloniale pour un abandon de poste en présence de l’ennemi, ces militaires ont été condamnés à mort puis fusillés. La Cour d’Appel d’Orléans avait rejeté le recours en révision introduit en vertu de l’article 20 de la loi du 29 avril 1921. Mais suite à la lettre du Garde des Sceaux datée du 27 janvier 1927, déférant à la Cour de cassation par application de l’article 16, paragraphe 4 de la loi du 3 janvier 1925, le recours en révision du jugement du conseil de guerre de la 3e division coloniale, la Cour a acquitté ces 4 militaires.

L'article 24 de cette loi constitue un obstacle pour les chercheurs car il stipule explicitement qu'aucun fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire n'est autorisé à mentionner ou à laisser subsister dans un dossier ou tout autre document, sous quelque forme que ce soit, les condamnations et les sanctions disciplinaires effacées par l'amnistie ou par la grâce amnistiante.

A cette époque, la loi d'amnistie était d'application automatique. En effet, si une personne remplissait les critères définis par la loi d'amnistie, sa condamnation était automatiquement effacée, sans qu'elle ait besoin d'entreprendre la moindre démarche. Cela a été rappelé par l'Assemblée Nationale lors d'une séance du 28 mai 1953, où il a été affirmé : "une amnistie de droit s'applique automatiquement à toutes les infractions punies ou passibles de sanctions".

En résumé, cette loi va beaucoup plus loin que celle de 1921. Elle a permis d’amnistier 88,4% des militaires français fusillés au cours de la Grande Guerre dont le motif est connu. Ont été exclus du bénéfice de l’amnistie les cas d’espionnage (peu nombreux parmi les militaires français), les cas d’embauchage pour l’ennemi, de capitulation, de désertion à l’ennemi, de désertion avec complot, de pillage et les crimes sanctionnés par le code pénal qui sont les plus nombreux. Mais cette loi a permis également de saisir une juridiction pour établir l’innocence d’un militaire.

5-loi du 26 décembre 1931 :

Comme les précédentes lois d’amnistie, celle-ci énonce une litanie de délits et de contraventions amnistiés. Pour les militaires condamnés, l’article 3, du fait de la création du code de justice de 1928, fait apparaître une double appellation des motifs de condamnations. L’abandon de poste étant en faction ou en vedette, sans circonstance aggravante, sanctionné par l’article 211, alinéa 3 du code de 1857 est ainsi devenu le 1e alinéa de l’article 227 du code de 1928. En fait, ce n’est pas le code de 1857 qui devrait être mentionné mais celui de 1875, le code de justice militaire de 1857 ayant été profondément remanié du fait de la création des conseils de guerre temporaires aux armées en 1875 suite au conflit de 1870. Toute une série d’alinéas est ainsi évoquée mais aucun ne s’adresse spécifiquement aux motifs de condamnation à mort des militaires français fusillés.

Pour les faits de désertion à l’étranger commis avant le 24 octobre 1919 qui, rappelons-le, ne sont pas sanctionnés par la peine de mort, l’article 7 accorde l’amnistie pleine et entière à la condition que les auteurs aient servi pendant deux ans ou pendant un an seulement mais dans ce cas qu’ils aient été blessés ou cités à l’ordre du jour dans la liste des unités combattantes énumérées aux deux premiers tableaux annexés à l’instruction ministérielle du 2 novembre 1919.

L’article 8 reconduit les dispositions de l’alinéa 8 de l’article 20 de la loi du 29 avril 1921, modifié par l’article 16 de la loi du 3 janvier 1925 concernant la possibilité donnée au ministre de la Justice de saisir la chambre des mises en accusation d’un recours contre les condamnations prononcées par les conseils de guerre ordinaires et spéciaux qu’il jugerait devoir être reformées dans l’intérêt de la loi ou du condamné. Cette disposition a été reconduite jusqu’au 14 juillet 1933.

Comme l’avait déjà mentionnée l’article 15 de la loi de 3 janvier 1925, l’article 13 rappelle que les effets de l’amnistie ne peuvent, en aucun cas, mettre obstacle à l’action de révision devant toute juridiction compétente en vue de faire établir l’innocence d’un condamné.

Pour les militaires français condamnés à mort puis fusillés, cette loi, si elle prolonge les deux dispositions ci-dessus certes très importantes, n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à celle de 1925.

6-loi du 9 mars 1932 :

Cette loi a créé, à Paris, une Cour spéciale de justice militaire chargée de la révision des jugements rendus depuis le 2 août 1914 par toutes les juridictions de l’armée de terre autres que les conseils de guerre permanents, ayant prononcé des condamnations pour des infractions prévues par le code de justice militaire, commises avant le 11 novembre 1919. Les recours pouvaient être exercés par le condamné, par son conjoint, ses ascendants ou descendants si le condamné était décédé, par un de ses parents jusqu’au 4e degré ou par le ministre de la Guerre. Les demandes de révision devaient être introduites dans un délai de deux ans à partir de la promulgation de la loi. Seules étaient recevables les demandes introduites par l’un quelconque des ayants droit dont la volonté d’obtenir la révision du jugement se sera manifestée par une requête adressée à une autorité judiciaire ou administrative dans un délai de dix ans à compter du 11 novembre 1918.

La Cour spéciale avait pleins pouvoirs pour ordonner l’annulation d’un jugement objet d’une demande en révision et pour prononcer l’acquittement d’un condamné.

La Cour statuait d’abord sur la forme puis sur le fond pour celles déclarées recevables.

Parmi toutes les demandes de recours formulées, la Cour s’est déclarée incompétente pour le recours de Joseph Louis Brun condamné à mort par contumace par le conseil de guerre de la 29e division d’infanterie le 27 avril 1916 pour désertion à l’ennemi. Ce militaire avait été condamné à tort suite à l’homonymie avec le soldat Joseph Séraphin Brun auteur des faits. Le 23 décembre 1916, le conseil de guerre de la 29e division a statué en établissant que le jugement du 27 avril 1916 ne s’appliquait pas au soldat Joseph Louis Brun. Ce militaire s’estimait lésé par l’absence de publicité du second jugement à la mairie de son domicile.

Concernant 26 autres demandes dont 7 concernant des condamnations à mort, la Cour les a déclarées irrecevables. Ces 7 demandes concernant en réalité 6 militaires, un militaire ayant fait l’objet de 2 requêtes en révision. Un autre cas concerne un civil luxembourgeois qui avait été sommairement exécuté pour espionnage en septembre 1914. Pour ce cas, la Cour a déclaré, qu’étant exclusivement chargée des jugements rendus par les conseils de guerre temporaires, la requête était irrecevable. En 1934, la Cour d’Appel de Paris a confirmé cette décision. L’une des constatations que l’on peut faire, est que 9 de ces demandes concernent des jugements non sanctionnés par la peine de mort de conseils de guerre permanents ; or la loi excluait ces conseils de guerre de la compétence de cette Cour. C’est le cas d’un militaire condamné le 12 avril 1918 à 15 ans de travaux forcés pour meurtre par le 2e conseil de guerre de Paris. Pour les 6 condamnés à mort/fusillés, l’autre constatation émanant, cette fois, de la Cour, est que ces requêtes n’ont jamais été précédées de la part des demandeurs en révision, d’aucune manifestation de la volonté d’obtenir la révision du jugement. Dès lors les requêtes postérieures au 11/11/1928 étaient irrecevables. La Cour soulignait ainsi clairement par ces arrêts que, pendant au moins 10 ans, personne ne s’était vraiment soucié du sort de ces militaires français fusillés jusqu’à la parution de la loi de 1932.

Pour les demandes déclarées recevables, la Cour a :

-acquitté 22 militaires français dont 18 condamnés à mort/fusillés (Bourcier, Chemin, Crémillieux, Gabrielli, Inclair, Laurent, Lescop, Loche, Pillet, Pollet et les militaires cités ci-dessous) déchargeant leurs mémoires des condamnations prononcées.

Deux jugements connus figurent parmi ces militaires. Celui des 4 caporaux de Souain : Lechat, Girard, Maupas et Lefoulon pour lesquelles la Cour a déclaré dans cet extrait : attendu que s'il est contraire à l'idée de justice, que la répression ait été ainsi limitée d'une façon arbitraire, aux seuls caporaux condamnés pour une faute commise par toute une compagnie, il est matériellement établi, et d'ailleurs, non contesté, que ces caporaux, ont reçu de leur chef, l'ordre de marcher contre l'ennemi et qu'ils ne l'ont pas exécuté. Et celui dit des fusillés de Flirey, le caporal Morange, les soldats Baudy, Fontanaud, Prébost pour lesquels la Cour a indiqué dans cet extrait : attendu que l’on ne saurait trop réprouver le procédé contraire à l’idée de justice, utilisé en ce qui concerne deux des condamnés et consistant à faire désigner par le sort, ceux qui auront à supporter la responsabilité pénale des fautes commises par la collectivité à laquelle ils appartiennent.

Ces 2 extraits des arrêts prononcés par cette Cour constituent les 2 seules approches connues d’une définition juridique de la notion de « fusillés pour l’exemple ».

-rejeté 19 recours dont ceux de 5 militaires français condamnés à mort puis fusillés.

- Pour Aristide Gauthier qui a été condamné le 01/06/1915 par le conseil de guerre spécial du 125e régiment d’infanterie à la peine de mort pour un abandon de poste en présence de l’ennemi, la Cour a déclaré :

Attendu que le conseil de guerre paraît s’être fondé sur les rapports du capitaine Jauneaud et du médecin major Rauzy, confirmés au surplus à l’audience et desquels il résulte que le 28 mai, après avoir rejoint une première fois sa compagnie sur l’ordre du médecin major, Gauthier a de nouveau quitté les tranchées sous le prétexte reconnu inexact que son état de santé ne lui permettait pas d’assurer son service, alors que sa compagnie se disposait à l’attaque;
Attendu que les dispositions produites devant la cour spéciale de justice militaire pour la plupart imprécises en raison de la confusion qui a pu s’établir dans l’esprit de leurs auteurs n’apportant aucun élément nouveau d’appréciation concernant l’abandon de poste au 28 mai, ne sont susceptibles d’infirmer les rapports concernant l’abandon de poste et d’établir par suite l’innocence du condamné ;
Rejette la demande en révision. (Source 11 J 3216)

-Pour Emmanuel Pairault qui a été condamné le 8 octobre 1915 par le conseil de guerre de la 23e division à la peine de mort pour un abandon de poste en présence de l’ennemi, la Cour a déclaré :

Attendu qu’appelé à s’expliquer sur la plainte en abandon de poste dont il fut l’objet, Pairault prétendait qu’à la suite de l’éclatement d’un obus à ses côtés, il avait été blessé au genou par une grosse pierre, qu’il avait été contraint de se réfugier dans un abri jusqu’au soir et qu’il s’était retiré ensuite dans les tranchées à l’arrière où il était resté un jour ou deux sans songer à se présenter à l’un des postes de secours voisins ;
Mais attendu que ses explications non confirmées par ses camarades Charoux, Deniaud et Hardre dont il a invoqué les témoignages ont été contredites par l’examen du médecin auxiliaire qui dès le 28 septembre, n’a constaté aucune trace des diverses contusions dont il se plaignait et n’a relevé au niveau de la région prérotulienne de l’un des genoux qu’une lésion très superficielle, ne semblant pas devoir entraîner d’impotence fonctionnelle ;
Attendu que dans ces conditions, la culpabilité de Pairault étant établie, le jugement critiqué ne peut qu’être maintenu, sans qu’il y ait lieu d’avoir recours à une mesure avant faire droit.
Rejette la requête.
(Source 11 J 3216)

-Pour Paul Pessina qui a été condamné le 28 septembre 1914 par le conseil de guerre spécial de la 35e division à la peine de mort pour un abandon de poste en présence de l’ennemi, la Cour a déclaré :

-Pour Jean Roger Frétillier qui a été condamné le 22 novembre 1915 par le conseil de guerre de la 43e division à la peine de mort pour un abandon de poste en présence de l’ennemi, la Cour a déclaré :

-Pour Jean Julien Chapelant qui a été condamné le 10 octobre 1914 par le conseil de guerre spécial du 98e régiment d’infanterie à la peine de mort pour capitulation en rase campagne, la Cour a déclaré :

Après l’arrêt de la Chambre des Mises en accusation de Riom daté du 6 mars 1923 puis l’arrêt de rejet de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation et enfin l’arrêt des 2 Chambres réunies du 9 novembre 1927 qui a maintenu la décision du conseil de guerre, la Cour Spéciale de Justice militaire n’a pas invoqué l’existence d’un doute ou d’un autre évènement justifiant l’acquittement de Chapelant. Elle a maintenu la décision du conseil de Guerre en indiquant que la culpabilité était établie.

En dehors de ces cas de militaires français condamnés à mort, il existe 2 cas qui mérite quelques explications :

Le cas du caporal Fernand Fray dénote dans cet ensemble. Condamné à mort le 2 octobre 1915 pour abandon de poste en présence de l’ennemi, il s’était évadé et enfuit à Saragosse en Espagne. La Cour avait rejeté une première fois la recevabilité de sa requête, Fray étant absent à l’audience. Son avocat avait présenté une 2e requête qui avait été également rejetée, la Cour le requérant à nouveau pour l’entendre puis une 3e que la Cour avait accepté à condition que Fray, toujours absent, se présentât lors de la prochaine audience.

Fray se s’étant toujours pas présenté devant la Cour, celle-ci a statué sur le fond et a rejeté la requête.

L’autre cas concerne le soldat Louis Benjamin Cornuéjols condamné à mort par contumace par le conseil de guerre de la 126e division le 3 novembre 1915 pour désertion à l’ennemi. Le 28 janvier 1927, la Cour de cassation avait rejeté la requête en reformation du jugement du conseil de guerre.

Ce militaire a été rayé de la désertion le 11 juillet 1945.

Prisme n’a pu déterminer l’issue de cette désertion à l’ennemi. Cornuéjols était-il resté à l’étranger comme certains autres déserteurs à l’ennemi ? Etait-il toujours en fuite en 1945 ? Prisme a déjà évoqué le cas de ce militaire dans l’article : Au sortir de la guerre, quel destin pour les condamnés à mort par contumace ?

La Cour a également enregistré les désistements des familles de 2 militaires (chef de bataillon Wolff et lieutenant Gailleur)

7-loi du 13 juillet 1933 :

Cette loi n’apporte pas d’informations relatives aux militaires français condamnés à mort puis fusillés. Pour les autres militaires et même pour les non-militaires, l’article 3 accorde l’amnistie pleine et entière pour toutes les infractions prévues par le code justice militaire, commises antérieurement au 20 juin 1933 à tous ceux qui ont bénéficié ou bénéficieront dans les douze mois qui suivront la promulgation de la présente loi, par décret de grâce, soit d’une remise totale de la peine, soit de la remise de l’entier restant de la peine.

L’article 7 reconduit les dispositions de l’alinéa 8 de l’article 20 de la loi du 29 avril 1921, modifié par l’article 16 de la loi du 3 janvier 1925, modifié par l’article 8 de la loi du 23 décembre 1931 concernant la possibilité au ministre de la Justice de saisir la chambre des mises en accusation d’un recours contre les condamnations prononcées entre le 24 octobre 1919 et le 20 juin 1933 par les tribunaux militaires.

L’article 8 rappelle que les effets de l’amnistie ne peuvent, en aucun cas, mettre obstacle à l’action de révision devant toute juridiction compétente en vue de faire établir l’innocence d’un condamné.

Pour les militaires français condamnés à mort puis fusillés, cette loi, n’apporte pas plus d’éléments nouveaux par rapport à celle de 1925.

5-loi du 12 juillet 1937 :

 Au premier coup d’œil jeté sur cette dernière loi, l’impression d’un copier-coller adapté transpire. Pour le cas des militaires français condamnés, la référence dans l’article 7 au seul nouveau code de justice militaire de 1928 rend la comparaison moins aisée. Aucun des alinéas listés dans l’article 7 ne s’adresse à des militaires français condamnés à mort.

L’article 9 amnistie les faits de désertion et d’insoumission antérieurs au 24 octobre 1919 dont les auteurs auront appartenu effectivement à une unité combattante, ou auront été blessés ou cités. Cette amnistie, au titre de l’article 9, sera prononcée par une commission composée majoritairement d’anciens combattants titulaires de la carte du combattant.

L’article 15 reconduit les dispositions de l’article 20 de la loi du 29 avril 1921, modifié par l’article 16 de la loi du 3 janvier 1925, par l’article 8 de la loi du 26 décembre 1931 concernant la possibilité au ministre de la Justice de saisir la chambre des mises en accusation d’un recours contre les condamnations prononcées par les tribunaux militaires. Mais cette disposition n’a été reconduite que pour la période du 24 octobre 1919 au 1er juillet 1937.

La référence aux effets de l’amnistie qui ne peuvent, en aucun cas, mettre obstacle à l’action de révision devant toute juridiction compétente en vue de faire établir l’innocence d’un condamné, n’apparaît plus. L’émergence d’un autre conflit en est-elle la cause ?

Cette loi n’a pas eu de répercussions sur les militaires français condamnés à mort puis fusillés au cours du conflit 14/18.

6-Synthèse :

Toutes ces lois présentent deux caractères distincts.

-Les lois de 1919, 1921, 1925, 1931, 1937 traitent majoritairement de l’amnistie des infractions commises durant le conflit. L'amnistie est une mesure législative, où l’on décide d'officialiser l'oubli de certaines infractions en effaçant les condamnations qui en résultent. Elle efface les condamnations et les peines, mais non les faits eux-mêmes. Cela signifie que bien que la condamnation soit annulée, l'acte reste inscrit dans l'histoire, même s'il n'est plus assorti d'une sanction légale. C’est une mesure collective.

Parmi toutes ces lois, la plus importante est celle du 3 janvier 1925 qui a amnistié 88,4% des militaires français condamnés à mort puis fusillés par les conseils de guerre temporaires pour les motifs de condamnation connus. Les motifs de condamnation non connus ne représentent que 1,8% de l’ensemble des condamnations à mort qui se sont soldées par une exécution ordonnée par les conseils de guerre temporaires ordinaires et spéciaux. Ont été exclus du bénéfice de l’amnistie les cas d’espionnage, les cas d’embauchage pour l’ennemi, de capitulation, de désertion à l’ennemi, de désertion avec complot, de pillage et les crimes sanctionnés par le code pénal qui sont les plus nombreux.

-Les lois de 1924 et de 1932 s’inscrivent dans un autre contexte. Pour la loi d’août 1924, il s’agit là, de permettre à une Cour d’appel par exemple, de juger un militaire sommairement exécuté. Pour celle de 1932 qui a créé la Cour spéciale de justice militaire, il s’agit de rejuger des militaires français condamnés par les conseils de guerre temporaires. C’est nécessairement une mesure de caractère individuel, faisant suite, soit à une « demande de réformation de jugement », soit à un « recours en révision », dès lors que de telles requêtes ont été favorablement accueillies par un juge. Si le recours en révision est favorablement accueilli, la Cour se prononcera sur le fond soit en entérinant le jugement préalablement rendu, soit en acquittant le ou les condamnés.

Parler de « réhabilitation collective » — donc sans réexamen préalable de chaque dossier individuel, en ayant soin de distinguer scrupuleusement les incriminations fondées sur des dispositions du code de justice militaire et celles de droit commun relevant du code pénal alors en vigueur — revient ni plus ni moins à envisager une « amnistie générale », peu conforme à l'esprit de notre droit.

Le terme « réhabilitation collective » est donc un terme manifestement impropre, la réhabilitation étant juridique et individuelle.

Les parlementaires de l’époque avaient bien compris cette distinction en adoptant ces 2 catégories de lois, l’une destinée à rejuger les militaires français victimes d’une erreur judiciaire manifeste comme Lucien Bersot, l’autre pour amnistier ceux qui ne pouvaient rentrer dans cette première catégorie. Lors de la séance du 13 juillet 1924 à la chambre des députés, le député Gamard a déclaré : nous sommes résolus à voter l’amnistie pour ces faits mais nous déclarons que pour certains cas très intéressants que vous connaissez, l’amnistie qui ne comporte que l’oubli ne peut suffire. Nous demandons et nous ne cesserons de demander pour certains faits qui ont été évoqués hier, la réhabilitation [judiciaire] des victimes tombées sous les balles françaises. Je me contenterai de revenir sur une affaire que vous connaissez bien : celle des caporaux de Souain (Journal officiel - débats parlementaires - page 2723).

Aujourd’hui comme hier, passer devant une juridiction, ne garantit pas d’être acquitté. Les arrêts de la Cour spéciale de justice militaire le démontrent bien. Les cas de militaires français dont les dossiers ont été soumis à cette juridiction le prouvent. Les 4 caporaux de Souain ont été acquittés mais la Cour a également entériné certains jugements des conseils de guerre.

La grâce ne doit pas être confondue avec l'amnistie, car contrairement à l'amnistie, la grâce n'efface pas la condamnation du casier judiciaire. Comme nous l’avons déjà dit précédemment, durant le conflit, le Président de la République a gracié 1008 militaires français condamnés à mort.

L’autorité législative ne peut pas établir l’innocence d’un militaire et ne peut pas réhabiliter judiciairement un militaire, ce rôle est dévolu à l’autorité judiciaire.

Cela renvoi aux propos tenus par Edouard Ignace, président de la commission de la législation civile et criminelle qui, répondant aux députés Paul Denise et André Berthon, déclarait en séance le 22 avril 1920 : nous ne sommes pas ici un tribunal d’appel chargé de réviser les décisions de justice, nous sommes une assemblée d’hommes politiques conscients de leur responsabilité envers le pays, appelés à nous prononcer sur une loi d’amnistie, c’est-à-dire une mesure essentiellement politique. (Journal officiel - débats parlementaires – Chambre des députés - page 1877)

En l’état, la formulation « réhabilitation collective » présente les caractéristiques d’une nouvelle amnistie renommée pour la circonstance. Qui plus est, cette « réhabilitation collective » est supposée s’adresser à 639 militaires français fusillés, mais ce chiffre qui comporte, entre autres, des exécutés sommaires dont le sort a été réglé par la loi du 9 août 1924, n’est pas en adéquation avec les remarquables dispositions de l’article 6 de la loi du 3 janvier 1925 puisqu’il contient des cas d’embauchage pour l’ennemi, de capitulation, de désertion à l’ennemi, de désertion avec complot et de pillage.

Pourquoi refaire ce qui a été déjà fait et bien fait par les parlementaires en janvier 1925 et mars 1932 ?

Prisme a adopté ce précepte du général André Bach, pierre angulaire du groupe : il faut toujours de la rigueur intellectuelle, toujours revenir aux faits, aux chiffres le tout contextualisé, faire preuve de transparence et de pédagogie, mettre à disposition les sources à la base des recherches pour éviter le soupçon.

Pour André


 

 

jeudi 18 janvier 2024

Le cas du soldat ROBY ou les conséquences de la suspension du recours en révision

      

     Prisme s’est intéressé, comme souvent, au fonctionnement de la justice militaire en étudiant certains dossiers non pas comme si nous étions un conseil de révision, nous n’avons pas cette prétention, mais en regardant si les dispositions de l’article 74 du code de justice militaire ont été respectées. Rappelons que le conseil de révision se substitue, en temps de guerre, à la Cour de Cassation. Comme le précise le titre II du livre II du code de justice militaire qui définit les compétences de cette entité, les conseils de révision se prononcent sur les recours formés contre les jugements des conseils de guerre établis dans leur ressort.

Comme le rappelle Edouard Ignace, président de la commission de la législation civile et criminelle qui, répondant aux députés Paul Denise et André Berthon, déclarait en séance à la Chambre des députés le 22 avril 1920 : nous ne sommes pas ici un tribunal d’appel chargé de réviser les décisions de justice, nous sommes une assemblée d’hommes politiques conscients de leur responsabilité envers le pays, appelés à nous prononcer sur une loi d’amnistie, c’est-à-dire une mesure essentiellement politique. (Journal officiel - débats parlementaires – Chambre des députés - page 1877)

Comme l’autorité législative, Prisme ne peut pas établir l’innocence d’un militaire et ne peut pas réhabiliter judiciairement un militaire, ce rôle étant dévolu à l’autorité judiciaire.

Mais rien n’empêche Prisme de regarder si les règles de fonctionnement des conseils de guerre temporaires ont été respectées entre le 17 août 1914 et le 8 juin 1916. En effet, entre ces dates, les conseils de révision établis aux Armées ont été suspendus par décret du Chef de l’État comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 71 du code de justice militaire. En effet, de par cet article 74, un conseil de révision ne peut annuler un jugement que dans les cas suivants :

1-lorsque le conseil de guerre n'a pas été composé conformément aux dispositions dudit code

2-lorsque les règles de compétence ont été violées

3-lorsque la peine prononcée par la loi n'a pas été appliquée aux faits déclarés constants par le conseil de guerre, ou lorsqu'une peine a été prononcée en dehors des cas prévus par la loi 

4-lorsqu'il y a eu violation ou omission des formes prescrites à peine de nullité

5-lorsque le conseil de guerre a omis de statuer sur une demande de l'accusé ou une réquisition du commissaire du gouvernement tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi

Nous rappelons que Prisme appréhende l’ensemble de ces évènements à travers la notion, pratiquée en sociologie, de « cohorte » introduite par le général Bach. Une cohorte mensuelle est constituée de tous les condamnés à mort au cours du même mois. Le condamné peut être exécuté dans le mois. Mais il a le risque de l'être aussi dans les mois suivants si son pourvoi en révision a été rejeté ou si sa demande de grâce, après examen, a été rejetée. Les autres condamnés échappent à la mort puisque leur peine est commuée.

Nota : toutes les captures d’images non sourcées présentées dans cet article sont issues de MDH/SHD dossiers fusillés, les autres documents sont sourcés.
Les phrases en italique sont la copie exacte des documents originaux, quelle que soit leur apparence.

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     Le titre du chapitre 7 du livre « fusillés pour l’exemple 1914/1915 » du général Bach, pierre angulaire du groupe Prisme, « à la Patrie en danger il faut une justice de terreur » est très pertinent.

Ce n’est pas tant le décret du 10 août 1914 qui pose problème. En effet, ce décret signé de Messimy précisait : « Dans les circonstances graves que traverse la patrie, il m’a paru nécessaire de recourir à cette disposition et de suspendre la faculté pour les condamnés de former un recours en révision. Cette mesure serait limitée toutefois aux crimes prévus ou punis par les articles 204, 206, 207 et 208 du code de Justice Militaire, c’est-à-dire la trahison, l’espionnage et l’embauchage des militaires ».

Ce qui permettait au général Bach de dire : ainsi limitée, la mesure n’entraîne pas de conséquences graves pour les soldats. Il s’agit plutôt de les protéger contre les entreprises adverses se présentant sous forme de l’espionnage, de la démoralisation ou de l’incitation à déserter.

Statistiquement, c’est vérifiable. De 1914 à 1918, 7 militaires français ont été jugés, condamnés à mort puis fusillés par les conseils de guerre temporaires au titre des articles 204 à 208 du code de justice militaire dont 2 en 1914. Donc, contrairement à ce qui a été écrit ici et là, même dans une récente proposition de loi, ce décret a eu que peu d’impact sur le sort des militaires français.

Par contre, les conséquences du décret du 17 août 1914 étaient tout autre. Ce nouveau décret rendu en Conseil des ministres, et par application de l’article 71 du code de justice militaire, « Est temporairement suspendue aux armées la faculté de former un recours en révision contre les jugements des Conseils de guerre établis conformément au troisième paragraphe de l’article 33 du Code de Justice Militaire ». Ce décret ne concernait plus seulement les articles 204 à 208 (la trahison, l’espionnage et l’embauchage à l’ennemi) mais tous les motifs de condamnation. Les conséquences pour les militaires français étaient beaucoup plus graves, ils ne pourront plus se pourvoir en révision contre un jugement prononcé.

Le décret suivant du 1er septembre 1914 signé de Millerand, puisque Messimy n’était plus en poste, était aussi d’une toute autre gravité : « J’ai décidé d’abroger, à la date de ce jour les dispositions de la circulaire très confidentielle du 10 août 1914 concernant l’exercice du droit de grâce en ce qui concerne les condamnations prononcées par les Conseils de Guerre. Pour assurer au fonctionnement de la Justice Militaire la rapidité qui est une des conditions essentielles de son efficacité les dispositions suivantes seront substituées aux dispositions abrogées : dès qu’une condamnation capitale, prononcée par un Conseil de Guerre, sera devenue définitive, soit qu’elle n’ait pas été attaquée devant le conseil de révision, soit que le recours ou, le cas échéant, le pourvoi en cassation, ait été rejeté, soit enfin qu’il s’agisse de condamnations prononcées par un des Conseils de Guerre aux armées, à l’égard desquelles le décret du 10 août 1914 a suspendu le recours en révision, l’officier qui a ordonné la mise en jugement prendra immédiatement les mesures nécessaires pour assurer l’exécution du jugement, à moins que, exceptionnellement , il n’estime qu’il y a lieu de proposer au chef de l’État une commutation de peine ».

La synthèse de ce texte est limpide : l’exercice du droit de grâce ne dépend plus directement du Chef de l’État mais de l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire, ce dernier devant immédiatement prendre les mesures pour assurer l’exécution de la sentence puisque le recours en révision est suspendu sauf si exceptionnellement il décide (seul) d’envoyer le dossier de procédure au Président de la République pour un recours en grâce.

C’est le début de la période que le général Bach appelait : l’exceptionnalité du recours en grâce. Tout cela est maintenant bien connu grâce aux travaux du général Bach, bien que certains auteurs d’articles ou de livres récents n’aient pas encore mesuré l’importance de cette période de « l’exceptionnalité du recours en grâce » qui se divise en réalité en 2 parties.

Il ne faut pas oublier le contexte de la guerre et le minimiser. La situation militaire est plus que préoccupante en ce début de conflit, les Armées françaises retraitant partout. La défaite de 1870 est dans les esprits des gouvernants.

Pour les militaires français, dans cette séquence de perte des droits, le décret du 6 septembre 1914 créant les conseils de guerre temporaires spéciaux, est le dernier palier. Comme le disait le général Bach, c’est une justice d’exception. Suite à la dépêche télégraphique de Joffre du 3 septembre, Millerand va prendre en compte cette demande et lui adresser dans un 1er temps son fameux brouillon ci-dessous mentionnant le rétablissement des « cours martiales », couvrant aussi « toutes les mesures nécessaires » avant la publication du décret du 6 septembre : A titre provisoire et pendant la durée de la guerre, les Conseils de guerre aux armées peuvent fonctionner dans les conditions ci-après indiquées sous la forme de Conseils spéciaux pour juger, en cas de flagrant délit, les militaires… le jugement est prononcé à la majorité de 2 voix contre 1, les jugements rendus par les Conseils de Guerre spéciaux ne sont susceptibles ni de recours en révision , ni de pourvoi en Cassation.

De toute façon, le pourvoi en révision était déjà suspendu depuis le 17 août 1914, le recours en grâce étant depuis le 1er septembre de la seule décision de l’officier qui a ordonné la mise en jugement. De ce côté-là, pas de nouveauté. Ce qui est plus critique, c’est que 3 juges statuent sur les auteurs des crimes puisque les délits ne sont pas du ressort de cette juridiction, et qu’ils jugent les militaires « pris en flagrant délit ».

Etre jugé en flagrant délit est toujours une pratique actuelle qui peut se comprendre dans certains cas. Pour les conseils de guerre temporaires spéciaux qui, pour la plupart des cas ont été amenés à statuer au niveau régimentaire, cela présente un sacré défi : trouver rapidement dans chaque unité des individus capables d’assurer le rôle d’un défenseur, le rôle d’un greffier, le rôle d’un commissaire-rapporteur rompu à l’exercice du droit en général et du droit militaire en particulier.

De plus, contrairement aux conseils de guerre temporaires ordinaires qui ont généralement fonctionné au niveau divisionnaire où le général de division est l’officier qui ordonne, par exemple, la mise en jugement d’un prévenu ; au niveau régimentaire, c’est le commandant de l’unité qui doit jouer ce rôle. En cas d’application de l’article 156 du code de justice militaire, le commissaire-rapporteur ne rédige pas nécessairement de rapport et de conclusions ; c’est la citation directe à comparaître à l’audience qui s’applique, le rôle du commandant d’unité devient alors très important. Cet officier ne doit pas mélanger les rôles comme dans le dossier du soldat Bersot où le Lt colonel Auroux commandant le 60e régiment d’infanterie a confondu son rôle d’administrateur de la procédure avec celui de président du conseil de guerre ce qui est interdit par les articles 24 et 37 du code de justice militaire.

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Au sein du 43e régiment d’infanterie coloniale, durant la période de fonctionnement des conseils de guerre spéciaux, on dénombre 34 condamnations par cette juridiction dont 20 en 1914. Parmi tous ces jugements, on compte 13 acquittements, 8 condamnations de 6 mois à un an de prison, 9 condamnations de 2 à 7 ans de prison ou de travaux publics et 4 condamnations à mort dont l’une, celle du soldat Thermone a été commuée en 15 années de prison, peine suspendue le 23 janvier 1916. Suite à une nouvelle condamnation, ce soldat a été transféré au pénitencier de Douéra le 5 /11/1917 puis à la maison centrale de Lambèse le 12/01/1917. Une remise de peine de 9 ans a été accordée à ce soldat par décret du 30/11/1921. Par une suspension de peine du 17/12/1921, Thermone a été libéré de la maison centrale de Lambèse le 20/01/1922. Ces remises de peine ont été accordées en application de l’article 4 de la loi du 29 avril 1921. Thermone a été renvoyé dans ses foyers le 31/01/1922.

Sur cet histogramme, remarquons que le 1er conseil de guerre de cette unité s’est tenu le 16 septembre soit 10 jours après la parution du décret du 1er septembre 1914 et 5 jours après la diffusion des textes d’application. Le dernier conseil de guerre connu s’est tenu le 14 septembre 1915 soit presque 6 mois avant la parution de la loi du 27 avril 1916 actant la suppression des conseils de guerre spéciaux. Comme nous l’avons déjà constaté pour l’ensemble des conseils de guerre spéciaux, cette loi ne fait qu’entériner une situation de fait, le 43e régiment d’infanterie coloniale en est l’exemple, ce type de conseil de guerre était tombé en désuétude depuis août 1915.

Le soldat Thermone n’est pas le seul soldat condamné à mort par un conseil de guerre spécial qui a bénéficié d’un recours en grâce. Dans ce cas, 6 mois avant la parution du courrier ministériel autorisant les juges d’un conseil de guerre à formuler un recours en grâce, les 3 juges ont signé une demande de recours en grâce.

On peut supposer que le chef de bataillon Porte commandant le 43e régiment d’infanterie coloniale a approuvé l’avis des 3 juges en transmettant leur demande au Président de la République car à la date du jugement de ce militaire, seul le chef de bataillon Porte avait ce droit.

Examinons le dossier de procédure d’un autre condamné à mort, celui du soldat Roby. Ce militaire était de la classe 1907, il a été renvoyé dans la disponibilité le 25 septembre 1910 avec le certificat de bonne conduite avant d’être rappelé suite à la mobilisation générale du 1er août 1914. La fiche de matricule de ce militaire est peu loquace, elle nous apprend seulement que Roby a été condamné le 1er septembre 1904 par le tribunal correctionnel de Chalon sur Saône à 30 centimes d’amende pour une contravention à la police des chemins de fer.

Le dossier de procédure de ce soldat est assez typique d’un conseil de guerre spécial un mois après la création de cette juridiction d’exception. Beaucoup de pièces du dossier de procédure ont été rédigées à la main. Faute de temps, les imprimés dédiés de la justice militaire ne sont, sans doute, pas encore parvenus au niveau régimentaire. Il manque certaines pièces comme l’état signalétique du prévenu, le relevé des punitions du prévenu, l’extrait de casier judiciaire, les notes d’audience, l’interrogatoire du prévenu, les dépositions des témoins.

Engagé au tout début de la guerre dans la bataille du « Grand Couronné », le 43e RIC perd beaucoup d’hommes dont son commandant. Le 20 août 1914, c’est le Chef de bataillon Porte qui lui succède à la tête de cette unité. Ce régiment est ensuite engagé dans l’Artois dans la « course à la mer ». Le 25 septembre, il arrête l’ennemi à Maricourt dans sa tentative d’aller sur Amiens.

Le 5 octobre 1914, le commandant Oudry du 79e régiment d’infanterie rédigeait le rapport suivant :

Le 4 octobre à 21h30, deux soldats qui d’ailleurs, par la suite, n’ont pu être retrouvés, sont arrivés prévenir le poste du 79e à Maricourt que des cris se faisaient entendre dans le village et qu’ils croyaient que c’était un blessé qu’on achevait. Les deux hommes ont eu peur et ne sont pas intervenus. Le caporal Jonnier du 79e avec 3 hommes de garde, s’est immédiatement porté dans la direction du village et au moment il arrivait à l’endroit indiqué, il vit un homme se redresser et essayer de fuir. Après sommation, cet homme s’arrêtait immédiatement ; le caporal et les hommes de garde ont alors découvert que cet homme en état d’ivresse tentait de violer ou de voler une vieille femme étendue sous lui, avec ses jupes complètement relevées. Le médecin aide-major Rohmer du 79e s’est porté immédiatement vers cette femme qui était blessée à la tête par suite des violences exercées sur elle par le soldat arrêté. Ce dernier est le nommé Roby Omer n° de matricule 07664 de la 14e compagnie du 43e régiment d’infanterie colonial. Il a été immédiatement fouillé et a été trouvé porteur d’objets volés (montre en or, porte-monnaie en nacre, autre porte-monnaie, etc, …). De l’aveu même du caporal fourrier de sa Cie, ce soldat serait un dangereux braconnier qu’il faut surveiller de très près. J’ai l’honneur de rendre compte que je fais conduire ce soldat à Suzanne pour qu’il soit immédiatement traduit devant le conseil de guerre spécial de son corps. Il est accusé de vol, de viol, de tentative de viol, blessures, abandon de poste en présence de l’ennemi, ivresse, cas prévus par le code de justice militaire et punis de mort pour deux d’entre eux.

Le rapport du médecin aide-major Rohmer décrit minutieusement la violence de l’agression.

Dès lors, pris en « flagrant délit », la traduction en conseil de guerre spécial de ce soldat va s’enclencher très rapidement. Le 5 octobre, le conseil de guerre est convoqué pour le jour même à 15 h à la mairie de Suzanne. Les juges désignés sont le capitaine Buhrer, le sergent Sustandal et le Chef de bataillon Porte. Le lieutenant Bernaville est désigné pour remplir les fonctions de commissaire-rapporteur. Le sergent Huet a été désigné comme greffier et le soldat Vial comme défenseur.

Notons que la signature apposée au bas de la convocation du conseil de guerre est celle du chef de bataillon Porte.

Le soldat Roby était accusé de vol, de coups et blessures ayant entraîné la mort et d’abandon de poste en présence de l’ennemi. Pour confirmer l’abandon de poste, le chef de bataillon Porte a posé les questions suivantes au lieutenant commandant la 14e compagnie :

Le lieutenant répondit à son chef de corps le 5 octobre :

1-la 1ère section de la 14e Cie était en réserve et cantonnée dans une maison du village placée à environ 300 m de la ligne des tranchées.

2-il a été trouvé dans la grande rue du village, route de Maricourt à Montaubon ; l’endroit où il a été arrêté et où il a commis son attentat est situé à plus de 200 m à l’est du cantonnement de la section. C’est au centre de la section qu’était fait la cuisine de cette fraction.

3-oui. Etant en réserve, il doit et peut être considérer comme étant sur la ligne de feux et en présence de l’ennemi.

4-Roby ment. La Cie devant prendre ce jour là le service aux tranchées à 20h, avait reçu l’ordre de manger à 17h30. La Cie mangeait au moment de l’attentat. La distribution ayant eu lieu cette fois-là à 20h10, la Cie n’a pu rejoindre les tranchées qu’à 22h, c’est-à-dire 30 minutes après la constatation des faits reprochés à Roby.

L’absence des procès-verbaux de l’interrogatoire de l’accusé et des dépositions des témoins est partiellement compensée par ces indications.

A Suzanne, le 6 octobre 1914, le conseil de guerre spécial s’était réuni :

A l’issue des débats, le soldat Roby a été reconnu coupable d’abandon de poste en présence de l’ennemi (article 213 alinéa 1), de vol (article 248) et en application de l’article 309 du code pénal : tout individu qui, volontairement, aura fait des blessures ou porté des coups ou commis toute autre violente ou voie de fait [....] sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et de d’une amende de seize francs à deux mille francs.

Roby n’a pas été reconnu coupable du viol de la vieille dame. Le 6 octobre 1914 à 16h30, ce soldat a été conduit près du cimetière de Suzanne où il a été fusillé après la lecture du jugement le condamnant à mort pour les faits cités ci-dessus.

Que retenir de cette sordide affaire ? Un point essentiel de procédure apparaît à la lecture du jugement ci-dessus : tous nommés par le chef de bataillon commandant le 43e régiment d’infanterie coloniale.

Or l’article 37 du code de justice militaire indique que les articles 15, 22, 23 et 24 dudit code sont applicables aux conseils de guerre aux armées. L’alinéa 4 de l’article 24 précise que nul ne peut siéger comme président ou juge s’il a précédemment connu de l’affaire comme administrateur.

Selon le commentaire abrégé sur le code de justice militaire du capitaine Vexiau de 1876, licencié en droit, par celui qui a connu de l’affaire comme administrateur, il faut entendre celui qui a été appelé par ses fonctions à en faire l’examen et à donner son avis sur les faits qui font l’objet de la poursuite. Le capitaine Vexiau reprend exactement la fin de l’alinéa 96 (page 91) du commentaire sur le code de justice militaire de 1858 du conseiller à la Cour de cassation Victor Foucher.

Dans ce dossier, c’est le chef de bataillon Porte qui a signé toutes les pièces du dossier, il a signé le document désignant les juges dont lui-même, le commissaire-rapporteur, le greffier et le défenseur. Sur la minute du jugement, il est écrit : le conseil convoqué par l’ordre du commandant conformément à l’article 111 du code justice militaire. L’article 111 précise : le général commandant la circonscription, en adressant l’ordre de mise en jugement, ordonne de convoquer le conseil de guerre et fixe le jour et l’heure de la réunion. Il a également questionné le lieutenant commandant la 14e Cie, il en avait parfaitement le droit en tant qu’officier de police judiciaire mais à partir de cet instant, il n’avait plus le droit d’assumer une autre fonction. Le chef de bataillon Porte n’avait pas le droit de convoquer le conseil de guerre et de présider le même conseil de guerre, c’est interdit par l’article 24 du code de justice militaire.

Si le conseil de révision n’avait pas été suspendu le 17 août 1914, ce jugement aurait été cassé et renvoyé devant une autre juridiction. Les juges des conseils de révision étaient très stricts sur le respect des textes. Par exemple, un conseil de révision a cassé un jugement rendu par un conseil de guerre uniquement parce qu’un juge n’ayant pas l’âge requis à quelques mois près. Si le nombre de jugements cassés par les conseils de révision est conséquent, le nombre des militaires recondamnés à mort est bien moindre. C’est le cas pour le soldat Guibout dont le jugement a été cassé parce que la date du crime (un abandon de poste en présence de l’ennemi) n’avait pas été mentionnée sur l’acte, les juges ayant admis les circonstances atténuantes lors du second procès ou pour le soldat Rebet qui a été condamné à 3 ans de travaux publics lors du second jugement.

Survenu après le 8 juin 1916, le jugement du soldat Roby aura été cassé. Quelle aurait été alors la peine donnée lors du 2e jugement ?

L’erreur du chef de bataillon Porte non sanctionnée par un conseil de révision suspendu, est-ce l’action d’une justice immanente ? C’est une vision peu cartésienne des évènements. En décembre 1914, le chef de bataillon Porte n’a pas réitéré le même vice de procédure, il a convoqué un conseil de guerre et a désigné un autre chef de bataillon comme président du conseil de guerre.

Nulle trace d’une moindre action en révision connue n’apparaît dans les archives pour ce militaire. Personne n’a, semble-t-il, remarqué ce vice de forme ou le fond de cette sordide affaire a-t-elle tempéré les actions en révision ?

En application de l’article 6 de la loi du 3 janvier 1925, ce militaire a été amnistié sans condition pour son abandon de poste en présence de l’ennemi. Cette condamnation a disparu de son casier judiciaire mais peut-on faire disparaître des mémoires les violences subies par cette femme ? Car en vertu de l’article 2 de ladite loi, l’amnistie pleine et entière a été accordée, lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire, pour les faits commis antérieurement au 12 novembre 1924 et prévus par les articles 155, […..], 309 alinéa 1 et 2 du code pénal.

 

Pour André